Ce que Shin Shimizu et sa peinture m’ont dit de la couleur
Kuniichi Uno
« Et si les choses ne brillaient de leurs couleurs originelles que lorsque plus aucune lumière perceptible à nos yeux ne se répand sur elles, quand par exemple le ciel est entièrement noir ? Ne dira-t-on pas alors que la couleur parfaite ne nous apparaît que sous une lumière noire ? ».
(Wittgenstein).
Qu’est-ce que la couleur ? Moments où on ne sait plus qu’en penser, dehors les enfants jouent : Diable y es-tu ? Diable y es-tu ? De quelle couleur es-tu ? Vert !
Quand je regarde le ciel bleu, est-ce que je vois du bleu ? Est-ce que je vois du ciel ? Ou est-ce que je vois de la lumière ? Est-ce que seulement je vois quelque chose ?
« Ce n’est pas du sang, c’est du rouge », disait Godard.
Ces derniers temps, j’ai souvent des nouvelles des gens plus âgés qui sont à deux doigts de perdre la vue. Ce bleu, un jour je ne le verrai plus. Ce que j’ai vu, je ne le verrai plus. Et même si j’y vois encore, les choses que j’ai vues autrefois se perdent déjà. Nous ne faisons jamais que cela : perdre la vue. J’en étais là de mes réflexions dans la lumière d’un plein midi d’été. D’innombrables persistances rétiniennes, des images en ruines.
Les œuvres se font avec le temps, le temps qui s’écoule, s’inscrit en elles, même si bien sûr elles ne peuvent conserver toutes ces traces. L’achèvement pour une œuvre, c’est aussi effacer les traces du temps. « Elle est retrouvée ! Quoi ? L’éternité. C’est la mer mêlée au soleil. » La couleur de l’éternité. Le soleil qui donne les couleurs se fond dans la couleur. Et rien n’est retrouvé.
Un tableau de Shin Shimizu, il n’y a rien là-dedans qui aurait été mis en couleurs, ce n’est que de la couleur. De la couleur qui existe réellement. S’il y a une surface de couleur, c’est déjà que la couleur est entourée de couleur. La surface colorée respire, vibre, rencontre, s’isole, s’oppose, reflète, résonne, se concentre, vagabonde, s’étend et se contracte, s’éparpille.
« J’inventerai la couleur des voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. » Mots remplis de couleur, envahis, aspirés par la couleur. Tant son existence a de force. On peut toujours demander pourquoi O est bleu. En demandant ça, on cherche à revenir de la couleur aux mots. Mais il y a des couleurs qui ne nous laissent par revenir aux mots. Et on demande encore «(c’est justement pour ça qu’on demande). Quel est ce problème que nous pose la couleur ?
C’est un problème de lumière, mais pas seulement de lumière.
C’est un problème de vision, mais pas seulement de vision.
Si je pose une même surface colorée sur un fond gris, ou si je la pose sur un fond noir ou blanc, elle me paraîtra chaque fois d’une toute autre luminosité. La couleur existe par son rapport avec d’autres couleurs. La couleur n’a jamais d’existence objective. On dirait plutôt que c’est une existence très étrange.
Et puis souvent les couleurs sont fortement liées à des sentiments, on ne sait trop lesquels. Associées à une sorte de symbolisme, elles nous ouvrent à une étendue qui excède de loin l’individu.
Les couleurs nous enveloppent, nous traversent, nous dissolvent, Qu’elles soient tout droit sorties de la nature, ou qu’elles soient artificielles. Elles semblent parfois trouver leur équilibre dans la forme, en lui servant de support. Et pourtant elles s’échappent à nouveau, presque aucune forme ne les retient ; ce sont elles qui enveloppent, traversent, dissolvent les formes. Il y a en elles une étrange vibration, une force qui les poussent à sortir de la forme ; à moins que la couleur ne soit précisément cela : cette force et cette vibration.
Pour un peintre parvenu sans hésiter au monochrome, la couleur s’oppose définitivement à la ligne . « Les lignes, barreaux de prison psychologique à mon sens, sont en nous et dans la nature bien sûr, mais elles sont nos chaînes, elles sont la concrétisation de notre état de mortels, de notre sentimentalité, de notre intellect, et même de notre domaine spirituel. Elles sont notre hérédité, notre éducation, notre squelette, nos vices, nos aspirations, nos qualités, nos astuces… Bref notre monde psychologique au grand complet, jusque dans les recoins les plus subtils. La couleur, au contraire, à l’échelle de la nature et de l’homme, est ce qui baigne le plus dans la sensibilité cosmique. » (Yves Klein) 1
En opposant ainsi la ligne et la couleur, Klein leur découvre à l’une et à l’autre un excès de sens, un sens que l’on peut dire politique. Révolution par la couleur, utopie de la couleur. La ligne ferme, la couleur ouvre : ce dualisme qui semble a priori hâtif, Klein l’intensifie à travers le monochrome, et il est certain qu’il nous a fait voir quelque chose qui appartenait en propre à la couleur.
Ca fait longtemps déjà que je suis la peinture de Shin Shimizu, depuis le temps où je faisais mes études en France. Avant le passage à des œuvres qui montrent le même acharnement qu’aujourd’hui à poursuivre la composition du plan coloré, la matérialité de la couleur et sa profondeur, il y a eu une période figurative que j’ai vue évoluer par étapes. Dès le début, même quand ses tableaux prenaient pour sujet des thèmes figuratifs, il y avait une présence « élégante » et pourtant massive de la couleur qui faisait une forte impression.
Beaucoup d’éléments ont sans doute joué leur rôle dans le processus d’où est sorti le style actuel. A vivre plus de vingt ans à Paris, on ne peut qu’être influencé par les mouvements vertigineux du monde artistique, mais en même temps c’est la géographie de son île natale, Sado, où il revenait chaque année, qui a pris en lui une importance croissante jusqu’à envahir sa peinture. Ces compositions en plans nets fourmillent de pensées, de sensations, de souvenirs. Ce qui explique que des œuvres parvenues déjà à un haut degré de réalisation, comme ce groupe de six toiles monochromes découpées en forme de vague, soient parcourues sous leurs surfaces paisibles par toutes sortes de vibrations et de flux qui ont fait naître une suite de changements.
Sans doute s’agit-il de peinture abstraite, mais ce n’est pas ainsi que je les vois.
Une série faite de plans rouges alignés sur champ noir peut se superposer dans mon esprit avec une autre figure, imposante, celle des femmes de Paul Delvaux alignées nues sur un fond de nuit blanche et qui regardent le spectateur de l’intérieur de la toile. Le regard est aspiré par le contraste de rouge et de noir qui donnent chacun à la surface sa profondeur et sa force, et sur cette surface calme d’où toute trace de pinceau a été effacée, les barres rouges se mettent à flotter en oscillant subtilement entre la régularité et l’irrégularité. Ce calme, cette agitation sont deux choses qui appartiennent en propre à l’œuvre de Shimizu.
La série en rouge et noir s’épure progressivement, on dirait presque qu’elle atteint son sommet avec un tableau où il ne reste que quatre colonnes disposées à peu près à égale distance et dont la partie inférieure a été légèrement coupée. Les parties retranchées sont subtilement décalées les unes par rapport aux autres. Une effrayante tension court entre le rouge et le noir. Le noir monte en bourdonnant. Les colonnes rouges fléchissent et tiennent bon. Le noir suinte du rouge, et le rouge du noir. Le rouge extrait la force illimitée qui est dans le noir.
Frank Stella écrit ceci à propos de Mondrian : « La couleur pure est le point de départ du sensualisme de Mondrian. L’utilisation des couleurs pures révèle la puissance de la couleur, qui est en soi une joie, tout en étant un moyen, et qui est en même temps le véhicule de sensations étonnantes où se reflètent la densité et la masse. Vient ensuite la lumière préoccupée seulement de briller. Elle naît de la prédominance du blanc, et du fort contraste que procurent les nombreuses rencontres avec les barres noires qui traversent le tableau. Cette lumière étonnante qui émane de l’arrière-plan, tout en ayant le pouvoir de se détacher au premier plan, est difficile à attraper. Mais cela laisse entendre que la couleur est un mouvement qui ne cesse de dégager de la lumière, ce qui revient à dire, d’un autre point de vue, que la couleur en soi peut être saisie comme étant la substance même de la peinture. »
« Mondrian a donné une consistance à l’espace plat de l’abstraction, il a permis aux couleurs et aux formes de vagabonder librement. Le déploiement des couleurs et des formes a trouvé un support suffisant, dans quelque direction que ce soit, et quelle qu’en soit la longueur. Tel est chez Mondrian l’effet de ces barres saturées de noir lorsqu’elles sont habilement jetées sur la surface du tableau. Elles ne divisent pas la toile : jetée là, leur structure devient le soutien d’une abstraction douée d’une souplesse et d’un pouvoir d’expansion illimités ». 2
Voilà, à propos de l’art de Mondrian, un commentaire des plus convaincants de la part d’un peintre qui a lui-même poussé très loin les possibilités de l’art abstrait. Il nous fournit aussi de nombreux points de repère pour penser l’œuvre de Shin Shimizu, en même temps qu’il fait apparaître son originalité. A l’opposé de « l’espace plat » de Mondrian, Shimizu cherche avant tout « la profondeur », et dans la couleur elle-même il découvre une profondeur matérielle. Quand il utilise des couleurs pures, Mondrian les manie presque comme des notions algébriques ; tandis que pour Shimizu les couleurs ne sont pas simplement là, elles ne se manifestent qu’après avoir conquis la matière au sein de la profondeur. Les couleurs ne sont pas manipulables a priori, elles sont en devenir, il faut les faire exister. Les couleurs ne sont pas simplement visibles, elles ont une matérialité presque tangible. Bien sûr, une épaisse couche de peinture plusieurs fois repassée agit sur le toucher ; mais ce n’est pas seulement la matière qui lui donne de la profondeur. Il est probable que la profondeur vient de l’attitude que le peintre adopte vis-à-vis de la couleur, et que cette profondeur se nourrit de toutes sortes de contrastes entre la couleur du fond et les plans colorés, de la composition qui se maintient dans un équilibre subtil comme si les mouvements de couleur ne cessaient de flotter sans jamais se figer, et enfin du tremblement de la matière même. Il n’est pas comme Yves Klein : il n’a pas définitivement exclu la ligne, il préfère la subordonner au pouvoir de la couleur, en faire un intermédiaire pour donner profondeur et mouvement aux couleurs. Il ne pratique pas non plus, à la façon de Mondrian dans son « espace plat », une distribution sobre de couleurs pures et de lignes comme autant de notions algébriques à partir desquelles il réaliserait, sur du blanc lumineux une structure infiniment changeante. Les couleurs de Mondrian, en vertu de son structuralisme rigoureux, sont déterminées à partir du blanc, tandis que Shimizu creuse « l’être » de la couleur et l’affronte au noir.
Ce n’est presque plus de la peinture abstraite.
Voici par exemple comment Shimizu explique d’où lui vient l’idée d’un tableau.
Les petits matins d’hiver, dans un Paris glacial, on n’a vraiment pas envie de se rendre dans un atelier non chauffé, mains une certaine teinte bleu pâle que l’on ne voit qu’en hiver avait commencé à envahir la toile qu’il était en train de peindre. Son atelier actuel se trouve dans le quartier de Ménilmontant. C’est comme ça que la toile s’est appelée « Ménilmontant bleu »…
Dans un tableau intitulé « Le mur d’or », somptueux agencement aux multiples couleurs, il y a un souvenir d’enfance lié aux fenêtres d’une centrale électrique dans les mines d’or de Sado qui prenaient un éclat doré sous le soleil couchant… Une composition en longueur faite de plusieurs rectangles colorés sur champ bleu a pour motif la figure de la mère sur son lit de malade et le souvenir des moments qui ont précédé sa mort…
Dans le catalogue de l’une de ses expositions personnelles, on trouve ces mots écrits au sujet de la lumière et de l’obscurité qui suivent le coucher du soleil : « Un peu avant cela, un reste de clarté éclaire doucement la surface de la mer où se détache la forme parfaite des ténèbres qui n’apparaît que là. Le regard est aspiré par cette forme, il ne voit plus la substance. / Etat limite de la vision. / Ombres des rochers au large, flottant sur une mer crépusculaire. / Ce n’est qu’un phénomène de contre-jour mais le regard est ébranlé. » C’est l’heure où les couleurs s’éteignent. Le moment où Shimizu remonte le cours du temps d’où naissent les couleurs. Et même si elles sont portées par la lumière, toutes sortes de ténèbres les enveloppent, et les ténèbres sont enveloppées par elles. « Dès que je pense à l’obscurité de la plage, c’est étrange, je suis face à l’obscurité de mon propre corps, il y a des sensations de fusion, certains souvenirs que je suis sur le point de toucher. » Les ténèbres s’étendent, des ténèbres du monde aux ténèbres du corps. Les couleurs les enveloppent, et parce qu’elles sont enveloppées à leur tour, les couleurs sont profondes. Leur profondeur, leur mouvement, leur force sont l’objet d’une attention constante, mais ce peintre n’essaie-t-il pas aussi de voir, de connaître ce qu’il y a dans l’obscurité qui le traverse et traverse le monde ?
Et puis il a remarqué que Van Gogh ne pratiquait pas toujours l’opposition brutale des bleus, des jaunes, des verts et des rouges proches des couleurs fondamentales, mais qu’il osait faire des tableaux avec des tonalités délicates de beige, de jaune citron ou de rose, comme s’il voulait aller encore plus loin que l’intensité des couleurs ; et c’est comme ça que Shimizu a peint récemment le « Portrait bleu-gris ». Pour aller encore plus loin et passer dans une autre dimension, en multipliant les couleurs et leurs variations ?
Il existe une île où la plupart des habitants ne perçoivent pas les couleurs. « Quand je rencontre un objet nouveau, je m’efforce de connaître à fond toutes ses propriétés, toucher, odeur, autres que les couleurs. Je le frappe, le tapote légèrement, vérifie le son qu’il rend. Chaque objet a un caractère original, que je devine. Je le vois aussi dans un mélange de clartés et d’obscurités. Sa surface, si elle est mate ou brillante, sa texture, ses motifs, s’il est d’une matière transparente, je vérifie tout de très près, selon ma méthode habituelle. » (Oliver Sacks) 3
Alors rien n’empêche qu’on frappe aussi les couleurs, qu’on les tapote, pour vérifier leurs diverses propriétés. De nombreux peintres, Van Gogh, Matisse, se sont écartés de la couleur propre des choses, en déclarant qu’ils n’utilisaient les couleurs que pour elles-mêmes. Pourtant ce ne seront jamais de simples moyens d’expression ou de simples signes. On ne s’exprime pas à travers la couleur c’est la couleur elle-même qui est expression ; les peintres pourront même essayer de ne l’utiliser que pour cela.
« O bleu… » Mais est-ce que O est l’expression du bleu ? Ou n’en est-il que le signe ? Dans tous les cas, O risque de se dissoudre dans le bleu.
Il est arrivé que Shimizu dise que certains tableaux avaient pour motif la guerre du Golfe, ou le jeune assassin du Kôbe. La disposition des couleurs n’est certainement pas faite pour « signifier » ce genre d’événements. Ils sont au contraire absorbés par les couleurs. Bref ce sont eux qui signifient ces couleurs-là. Si au premier coup d’œil une forme fixe, une disposition, un sens remplissent le tableau, c’est qu’il faut les casser. Et il faut plus de temps pour casser une composition que pour composer. Sans doute parce que la couleur est plus importante que la composition.
Les dernières opérations en vue de cette exposition se sont déroulées dans le gymnase d’une petite école désaffectée de l’ile de Sado. Un photographe était arrivé, on avait sorti les tableaux dans un jardin envahi par les mauvaises herbes, il avait commencé à photographier. Sous un ciel capricieux qui annonçait la fin de l’été, la lumière changeait à une vitesse vertigineuse ; « Ménilmontant bleu » aussi, qui avait été peint dans l’atelier de Paris et qui maintenant ne cessait de changer de couleur. Ce n’était pas simplement un effet de la lumière, il y avait des bandes et des ondes sorties de la profondeur des couleurs et qui émergeaient tout à tour à chaque changement de lumière. Et puis sous la surface surgissait une autre surface, un autre espace qui se développait peu à peu.
Van Gogh, dans ses lettres, commentait inlassablement la couleur. Comme si au-delà de la couleur, il n’y avait plus rien à peindre.
La couleur nous traverse. Comme un autre corps qui n’admet ni forme ni ligne. La couleur transperce la vue, traverse l’intelligence et la conscience, franchit les cloisons des sens avec ses vibrations et son étendue. Mais quand un artiste comme Yves Klein (et des Yves Klein, il y en a dans tous les domaines), a joué tout son art sur la limite extrême de la couleur, il ne reste plus guère ensuite qu’à essayer une autre forme d’art et de couleur, en opérant un retour rigoureux de l’au-delà vers ce monde.
Dans l’hiver de Paris, dans la lumière du petit matin, quand il passe des couches de bleus de degrés différents, c’est alors que remontent à la surface les paysages gravés en lui de son enfance au bord de la mer, à proximité des mines d’or.
J’ai l’impression de comprendre un peu quelque chose. Un itinéraire sinueux qui serpente à travers les œuvres de Shin Shimizu. Lui-même ne dévie pas de sa route, c’est un être endurant, qui sait seulement vivre droit. Il n’empêche, au fils des voyages, intérieurs ou autres, une forme de temps labyrinthique s’est installée dans le fourmillement de toutes ces couleurs concises et pourtant compliquées. Et malgré ça, sans jamais parvenir à un accomplissement, ses œuvres même les plus récentes restent fortement imprégnées de la volonté de continuer à casser ce qui a été fait.
« Nous ne cherchons pas à inventer une théorie des couleurs (les théories physiologiques ou psychologiques ne nous intéressent pas), ce que nous voulons trouver c’est la logique concernant le concept de la couleur. » 4 Pourquoi Wittgenstein, qui écrivait cela dans les dernières années de sa vie, a-t-il manifesté tant de curiosité pour les couleurs ? Dans la mesure où elles ont à voir avec la différence de lumière, avec la capacité qu’ont les sens de différencier la lumière, les couleurs sont du côté de la nature ; et en même temps, elles s’en séparent presque à travers notre capacité de différenciation (et à travers le langage). En réfléchissant sur la couleur, Wittgenstein la confronte toujours au problème des « jeux de langages ». Rouge, bleu, noir…, tout cela, est-ce que ça relève du langage ? Est-ce que ça relève de la lumière ? On dirait que les couleurs désignent une zone d’indécidabilité qui n’est ni du côté de l’objet ni du côté du sujet. C’est sans doute ce qui en fait, pour Wittgenstein, une très bonne manière de penser l’indécidabilité des jeux de langage. Pourtant on ne retrouve guère, dans ces fragments, le sens de la profondeur présent dans cette zone d’indécidabilité que désignent les couleurs.
Les couleurs ne sont pas la lumière elle-même, ni les choses elles-mêmes, ni nos sensations proprement dites ; elles ne font que traverser un monde composé de tout cela, elles sont une vibration qui échappe aux formes et aux dimensions, ou encore le principe auto-générateur qui produit, intensifie, accélère et libère cette vibration. La peinture de Shin Shimizu est un processus, comme on en voit rarement, pour explorer cette réalité de la couleur. Elle en est peut-être le cristal.
(Littérature française, professeur à l’Université de Rikkyo)
(Traduit par Véronique Perrin)
Note
1 Yves Klein 3 mars – 23 mai 1983, Centre Georges Pompidou, p. 172.
2 Frank Stella, Working space.
3 L’île en noir et blanc.
4 Ludwig Wittgenstein, A propos des couleurs